Cher journal, je fais parfois des cauchemars. Et au réveil, l’angoisse est toujours là, palpable, en dépit de l’aube prometteuse. La journée ne prend pas systématiquement le dessus, et quelquefois le cauchemar se prolonge en mode diurne. Aujourd’hui, danser m’était impossible sans une volonté immense. Pas le temps de méditer ni de m’étirer. Et retrouver le chemin du soleil fut un long labeur, à peine terminé à l’heure du sommeil. Qui me visitera cette nuit ? De quelles couleurs songerai-je ? J’avale un arc-en-ciel et je me glisse dans les ténèbres…
L’inédit de la semaine : Jungle Book Introduction vs Sections PB
Ouverture intérieure.
Et hop, on clôt le mois de mars avec le retour du Livre de la Jungle, projet toujours en gestation et tout en gesticulations, avec Florent Hamon et Nicolas Gastard. Aujourd’hui, voici l’introduction du spectacle, hybride de la musique de Georges Burns et de dérangements personnels, avec Nicolas Gastard aux percussions. Pour nous aider à danser dessus, on se fait plaisir avec la poésie cosmique de Babouillec, autrice autiste au sens de la formule qui nous touche particulièrement. Alors on pose bicyclettes et mobylettes, si tu danses c’est qu’t’es vivante !
Je, ou Autopsie du vivant
Je suis une enfant du ventre de ce monde où la poésie s’enterre vivante asphyxiée par l’hégémonie culturelle.
Je suis une enfant de ce sentier du monde en équilibre au-dessus des ravins ligotés entre le plein et le vide.
Je suis une enfant du ravin de ce monde ployé sous les sentiers en déséquilibre entre le vide et le plein.
Je suis une enfant en errance dans ce monde peuplé de certitudes soumis à la servitude.
(…)
Que du baratin, je me planque entre les lignes. Ode bruyante, mixage éclaté, tête par-dessus bord, Je suis autiste.
Cher journal, je vois des amies partout. Au cinéma, au restaurant, dans les musées, et même dans l’avion… C’est troublant toutes ces anonymes qui me sourient d’un regard complice et semblent me reconnaître, sans que je n’ai aucun souvenir d’elles. Il est bientôt deux heures du matin, je n’arrive toujours pas à dormir. Cela fait plusieurs mois que cette nuit sans fin me tient éveillée. Des flashs furtifs m’hypnotisent et je ne suis plus moi-même. Une autre demande à sourdre. J’ai parfois l’impression qu’elle prend le contrôle en mon absence, et je brûle de goûter celle qui émergera de cette effroyable mutation. Je suis sage, mais qui suis-je quand je rêve ? Qu’avons-nous à craindre de moi ? Et si la question n’était pas qui serai-je, mais combien suis-je ?
L’inédit de la semaine : Nocturne n°8
¿’ Furvent, ceux qui vont mûrir te saluent !
La citation est tirée du chef-d’œuvre La Horde du Contrevent, livre phénoménal d’Alain Damasio, qui nous accompagne depuis la création du trio il y a quinze ans déjà, choc littéraire dont les secousses nous remuent encore violemment aujourd’hui, et pour l’éternité. Il fallait bien cela pour accompagner notre Nocturne n°8, écho érotico-décadent au Nocturne n°2 du 22 janvier, concocté avec le si délicat Yan Pechin à la guitare électrique (de retour ici après notre Criminal World du 26 février), qu’il en soit ici encore infiniment remercié. C’est pas si simple à danser, mais tu as tellement de ressources qu’on a hâte de voir comment tu t’en sors. Hauts les cœurs et les genoux, on a toute la nuit devant nous !
XVI. Norska, à travers l’échancrure
π (…) Qu’importe où nous allons, honnêtement. Je ne le cache pas. De moins en moins. Qu’importe ce qu’il y a au bout. Ce qui vaut, ce qui restera n’est pas le nombre de cols de haute altitude que nous passerons vivants. N’est pas l’emplacement où nous finirons par planter notre oriflamme, au milieu d’un champ de neige ou au sommet d’un dernier pic dont on ne pourra plus jamais redescendre. N’est plus de savoir combien de kilomètres en amont du drapeau de nos parents nous nous écroulerons ! Je m’en fiche ! Ce qui restera est une certaine qualité d’amitié, architecturée par l’estime. Et brodée des quelques rires, des quelques éclats de courage ou de génie qu’on aura su s’offrir les uns aux autres. Pour tout ça, les filles et les gars, je vous dis merci. Merci.
ALAIN DAMASIO, La Horde du Contrevent
Gros bisous, Frédéric, Matthias & Sylvain.
Petit jeu : sauras-tu trouver la différence entre ces deux photos ?
Cher journal, petit à petit les jours rallongent, le soleil se montre plus tôt. La soirée semble m’appeler au-dehors, la fête se fait désirer et mon feu s’impatiente. Quand danserai-je enfin, et avec qui ? Sur ma platine je joue un disque, le temps se fige dans un souffle… Je rêve… Ce soir je suis une reine, une déesse primordiale, protectrice et bienveillante, une sœur de cœur et de corps. Je suis Gaia, je suis Atira, je suis Ilmatar et Tiamat ! Ce soir je fête la tendresse et l’allégresse. Ce soir, je me célèbre.
L’inédit de la semaine : Concerto per due mandolini, andante
C’est vendredi, c’est Vivaldi !
Après Les Baricades Mistérieuses et Les Amusemensde François Couperin, voici encore un peu de musique baroque avec Antonio Vivaldi : l’adaptation de l’Andante de son Concerto pour deux mandolines RV532. Et pour accompagner cette pièce : un poème magnifique de Maya Angelou, une femme absolument phénoménale. La musique murmure, le poème chante, tout est réuni ici pour que tu danses toute la nuit ! Ça sera tendre et chaleureux, un slow céleste, pour guincher seul ou à plusieurs, pour rêver…
Phenomenal Woman
Pretty women wonder where my secret lies. I’m not cute or built to suit a fashion model’s size But when I start to tell them, They think I’m telling lies. I say, It’s in the reach of my arms, The span of my hips, The stride of my step, The curl of my lips. I’m a woman Phenomenally. Phenomenal woman, That’s me.
I walk into a room Just as cool as you please, And to a man, The fellows stand or Fall down on their knees. Then they swarm around me, A hive of honey bees. I say, It’s the fire in my eyes, And the flash of my teeth, The swing in my waist, And the joy in my feet. I’m a woman Phenomenally.
Phenomenal woman, That’s me.
Men themselves have wondered What they see in me. They try so much But they can’t touch My inner mystery. When I try to show them, They say they still can’t see. I say, It’s in the arch of my back, The sun of my smile, The ride of my breasts, The grace of my style. I’m a woman Phenomenally. Phenomenal woman, That’s me.
Now you understand Just why my head’s not bowed. I don’t shout or jump about Or have to talk real loud. When you see me passing, It ought to make you proud. I say, It’s in the click of my heels, The bend of my hair, the palm of my hand, The need for my care. ’Cause I’m a woman Phenomenally. Phenomenal woman, That’s me.
MAYA ANGELOU
Les jolies femmes se demandent où je cache mon secret. Je ne suis pas mignonne ou construite pour convenir à la taille de mannequin Mais quand je commence à le leur dire, Elles pensent que je raconte des mensonges. Je dis, C’est dans le port de mes bras, La rondeur de mes hanches, Le rythme de ma démarche, La courbure de mes lèvres. Je suis une femme Phénoménalement. Femme phénoménale, C’est moi.
J’entre dans une chambre Tout aussi cool que vous s’il vous plaît, Et tous les hommes se lèvent, Ou tombent à genoux. Ils essaiment autour de moi, Une ruche d’abeilles domestiques. Je dis, C’est le feu de mes yeux, Et le flash de mes dents, Le swing de ma taille, Et la joie de mes pieds. Je suis une femme Phénoménalement. Femme phénoménale, C’est moi.
Les hommes eux-mêmes se demandent Ce qui les fascine tant en moi. Ils s’y évertuent Mais ne parviennent pas à atteindre Mon mystère intérieur. Quand j’essaie de les éclairer, Ils disent qu’ils ne voient toujours pas. Je dis, C’est dans la voûte de mon dos, Le soleil de mon sourire, Le roulement de ma poitrine, La grâce de mon style. Je suis une femme Phénoménalement. Femme phénoménale, C’est moi.
Maintenant vous comprenez Pourquoi je ne baisse pas la tête. Je n’ai pas à crier ou sauter à ce sujet Ni même parler fort. Quand vous me voyez passer, Cela devrait vous rendre fiers. Je dis, C’est dans le clic de mes talons, Les vagues de mes cheveux, La paume de ma main, Le don de ma tendresse. Parce que je suis une femme Phénoménalement. Femme phénoménale, C’est moi.
Gros bisous, Frédéric, Matthias & Sylvain.
Concerto per due mandolini , andante, RV532 Manuscrit original, Don Antonio Vivaldi , XVIIIème siècle.Bonus extra : Andante & Poetry
Cher journal, c’est bientôt le printemps et j’ai envie de sortir virevolter. L’aube crépusculaire illumine la ville d’une ambiance terne. Sous une belle lumière tamisée, la nature prépare son renouveau. Les odeurs sont encore pâles, mais je suis irrésistiblement appelée par l’extérieur, et la tentation de me calfeutrer dehors est grande. Je guette avec une douce fébrilité l’arrivée des hirondelles, mais aucun signe d’ailes. J’entends tout juste grisoller au loin, cela m’impatiente de plus belle. Mes seins sont redevenus sensibles depuis quelque temps, je désire et j’ai soif.
L’inédit de la semaine : Март – Песнь жаворонка
Crépuscule matinal.
Yan Péchinvs David Bowie la semaine dernière, que faire après cette déferlante ? Retour en trio aujourd’hui pour une adaptation duChant de l’alouette, tiré de Les Saisons de Piotr Ilitch Tchaïkovski, parce que vraiment on aime les contrastes, et les compositeurs Russes… Au cours de l’année 1876, Tchaïkovski écrivit une pièce par mois, proposée en complément du magazine musical Nouvelliste. Une démarche qui nous parle assurément ! Chaque pièce était accompagnée d’un bout de poème, voici une traduction de celui d’Apollon Maïkov qui accompagnait l’oiseau martien :
Mars – Chant de l’alouette
Les champs sont miroitants de fleurs, Des vagues de clarté déferlent dans le ciel, Le chant des alouettes printanières Dans le gouffre d’azur se répand.
Ça chante, ça danse, ça vole dans tous les sens. Et toi ?
Remerciements particulièrement chaleureux à Blutch pour sa trompette enchantée ♡
Март – Песнь жаворонка
Поле зыблется цветами… В небе льются света волны… Вешних жаворонков пенья Голубые бездны полны.
Взор мой тонет в блеске полдня… Не видать певцов за светом… Так надежды молодые Тешат сердце мне приветом…
И откуда раздаются Голоса их, я не знаю… Но, им внемля, взоры к небу, Улыбаясь, обращаю.
Аполлон Николаевич Майков
Gros bisous, Frédéric, Matthias & Sylvain.
Mars, vue d’artiste. Représentation astronomique anonyme inédite, XXIème siècle.Bonus extra : le premier son de Mars… Merci Cédric !