25 juin 2021

Cher journal, je tremble de froid mais pas seulement. Je tremble de peur face aux fascistes, je frémis d’effroi en entendant la haine, je sursaute et je m’affole quand les coups de feu résonnent, je titube puis je vacille quand l’horreur fait irruption dans le réel. Mais aussi, parfois, guidée par une altérité bienveillante, je me sens palpiter de l’intérieur, le mystère et l’inconnu me mettent en branle, et c’est une amitié inconditionnellement donnée qui me fait m’agiter à nouveau. Lorsque la tendresse et l’amour me lient aux autres, c’est de bonheur que je danse. Depuis quelques jours, je danse passionnément. Mon cher journal, ce soir je tremble de chaud.

L’inédit de la semaine : What Pow’r Art Thou

Solstice de nos quinze ans…

Pour clore ce premier semestre de blog (♥‿♥ ), et après la série des trois solos de juin – Matthias avec Strates n°4, Frédéric avec Niark, Prélude n°5, Sylvain avec Mechanic Bird (Oiseau Mécano) : Orgy – nous sommes de retour en trio ! Et nous célébrons ce solstice bloguistique (oui) avec une petite chanson fraîchement chaleureuse, de Henri Purcell, tirée de son semi-opéra King Arthur. Nous vous proposons une version toute personnelle de l’air du Génie du froid : What pow’r art thou. Tremblez, dansez, chauffez, soufflez…

♡ Bienvenue aux nouvelles/aux Tipeuses/eurs du blog (toutes les infos ici), qu’iels soient ici infiniment remercié.e.s : Geneviève & Laurent, Lydie & Jean-Georges.

Cold Genius

What pow’r art thou, who from below
Hast made me rise unwillingly and slow
From beds of everlasting snow?
See’st thou not how stiff and wondrous old
Far unfit to bear the bitter cold,
I can scarcely move or draw my breath?
Let me, let me freeze again to death.

John Dryden, King Arthur

Génie du Froid

Quel pouvoir es-tu, toi qui d’en bas
M’as fait me lever malgré moi et lentement
Du lit des neiges éternelles ?
Ne vois-tu pas comme, raide et accablé de vieillesse,
Loin de pouvoir supporter le froid mordant,
Je puis à peine me mouvoir ou prendre mon souffle ?
Laisse-moi, laisse-moi geler à nouveau
jusqu’à la mort.

Gros bisous,
Frédéric, Matthias & Sylvain.

King Arthur, What Pow’r Art Thou
Manuscrit original, Henry Purcell, XVIIème siècle

ENORME merci aux Tipeuses/eurs de cette semaine :
Marionette & ses moutons, Anouck & Nicolas, Odile & Christian, Gilles & Dominique, Claude & Cédric, Didier, Kali, Céline & José, Geneviève & Laurent, Lydie & Jean-Georges.

18 juin 2021

Cher journal, j’étais chez moi quand, soudainement, j’étais dehors ! Entre les deux, un flou, comme une absence incertaine. Une partie de mon espace-temps domestique a disparu dans un abîme hellénique. Compter les jours exilés, tenir la chronique de ce temps absent, recenser les séquelles et leurs causes est si difficile… Aujourd’hui j’ai l’impression de renaître amputée d’un temps désaffecté, zombie sensible et clairvoyante, en quête de souvenirs confus, incapable de faire le récit de ma propre existence. Je suis pleine de ce manque, mais il va me falloir du temps pour digérer cela. En attendant je suis dehors et je danse, le ventre vide mais le cœur léger à nouveau, et ça me fait du bien.

L’inédit de la semaine : Mechanic Bird (Oiseau Mécano) : Orgy

Et de un qui font trois…

Après Matthias et ses subtiles Strates n°4, après Frédéric et son Prélude n°5 répondant au doux nom de Niark, voici le moment de clore cette série de solos, créés spécialement pour le blog, avec Sylvain et son Mechanic Bird (Oiseau Mécano) : Orgy sic ! Votre chef du jour vous propose au menu une salade de pistons pour ouvrir l’appétit, suivie d’une triplette d’embouchures en gelée accompagnées d’un petit verre d’huile millésimée, et sa spécialité sucrée-salée-beurrée-douce-amer : le millefeuille d’aciers variés aux copeaux de peaux. Pour éviter la nuit blanche digestive, il est fortement conseillé de danser. A un c’est bien, à deux c’est mieux, à trois c’est extra !

Les Malheureux
à Louise Read

La trompette a sonné. Des tombes entr’ouvertes
Les pâles habitants ont tout à coup frémi.

Ils se lèvent, laissant ces demeures désertes
Où dans l’ombre et la paix leur poussière a dormi.
Quelques morts cependant sont restés immobiles ;
Ils ont tout entendu, mais le divin clairon
Ni l’ange qui les presse à ces derniers asiles
Ne les arracheront.

« Quoi ! renaître ! revoir le ciel et la lumière,
Ces témoins d’un malheur qui n’est point oublié,
Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère
Ont souri sans pitié !

Non, non ! Plutôt la Nuit, la Nuit sombre, éternelle !
Fille du vieux Chaos, garde-nous sous ton aile.
Et toi, sœur du Sommeil, toi qui nous as bercés,
Mort, ne nous livre pas ; contre ton sein fidèle
Tiens-nous bien embrassés.

(…)

Contre leur gré pourquoi ranimer nos poussières ?
Que t’en reviendra-t-il ? et que t’ont-elles fait ?
Tes dons mêmes, après tant d’horribles misères,
Ne sont plus un bienfait.

Au ! tu frappas trop fort en ta fureur cruelle.
Tu l’entends, tu le vois ! la Souffrance a vaincu.
Dans un sommeil sans fin, ô puissance éternelle !
Laisse-nous oublier que nous avons vécu. »

Louise Ackermann, Poésies Philosophiques

Gros bisous,
Frédéric, Matthias & Sylvain.

(…) renaître ! revoir le ciel et la lumière (…)
ENORME merci aux Tipeuses/eurs de cette semaine :
Marionette & ses moutons, Anouck & Nicolas, Odile & Christian, Gilles & Dominique, Claude & Cédric, Didier, Kali, Céline & José.

11 juin 2021

Cher journal, la solitude est un éclat nocturne fertile, et l’exil intérieur une épreuve régénérante. J’entame ma deuxième semaine d’isolement. Loin des flux numériques, je sens une inépuisable abondance affleurer les rives de mon inconscience. Pour en sortir quelque chose, il me faut faire des efforts considérables afin de ne pas me faire submerger par l’intensité créative. Il est vertigineux de se confronter à notre puissance intime. Je me sens au bord d’un gouffre monstrueux, impitoyable dans son attractivité, illusoire mais complice, si difficile à révéler. T’écrire ainsi me demande tant d’efforts, t’écrire aussi me donne tellement d’énergie… Nier le temps, diluer les heures à l’essence de mon pouls, plonger dans mes abîmes psychiques, y trouver le silence et la mort, gratter la membrane stérile afin d’extraire la précieuse lumière, danser avec moi-même une valse insensée, et discrètement déposer à mes pieds le trésor intestin. Puis, Phénix et Narcisse, renaître à ma quête…

L’inédit de la semaine : Niark, prélude n°5

Au suivant !

Et c’est Frédéric qui prend le relais, le souffle généreux et les doigts agiles, face au vent mais bien vaillant ! Après les Strates n°4 de Matthias la semaine dernière, nous poursuivons l’exploration du trio en solos. Cette semaine, Frédéric vous a concocté une fricassée d’anches au beurre clarifié, quelques fritures de clés antirouillées, et vous servira tout cela sur un lit de drone aux huiles essentielles de flanger grillé. Merci chef Frédéric Gastard pour ce Niark, prélude n°5 gastronomique ! Si ça vous tente, on a un coulis de réverb d’ampli, ça passe très bien sur un clafoutis de chaîne hi-fi dénoyautée. Et puis c’est léger pour danser…

♡ Bienvenue aux nouvelles/aux Tipeuses/eurs du blog (toutes les infos ici), qu’iels soient ici infiniment remercié.e.s : Didier, Kali, Céline & José.

Harness lightning
for Jimi Hendrix

leaping dolphins off a rainbow bridge guitar plugged into a cosmic amp melting blue flames in his hands mud on the voice
delta poetry dripping from his guitar maps drawn with sticks in the electric mud sound moving skyward
at first the music was invisible to my ears i had never heard an electric prayer before never knew that guitars could open doors like saxophones
lifted mind from a prison of labels false walls that separate us defining things
that need no definition just is
screaming strings harmonize in high frequency bathe our ears in a field of sound bending light new connections
I searched Seattle
for the pillow
that held Jimi’s head
dream catching,
plucking love from the nest
of broken hearts
the borrowed weeping
of blues men
singing into empty bottles
of perfume
with their processed hair of crows
prayer and electricity in an awesome room mud and the spirit shaped into a man
black gypsy sweating paisley under stars dancing rainbows in the night

Kamau Daa’ood, The language of saxophones

Harnais de foudre

sauter des dauphins d’une guitare à pont arc-en-ciel branchée sur un ampli cosmique fondant des flammes bleues dans ses mains de la boue sur la voix
la poésie delta dégoulinant de sa guitare, des cartes dessinées avec des bâtons dans le son de boue électrique se déplaçant vers le ciel
au début la musique était invisible à mes oreilles je n’avais jamais entendu une prière électrique avant je n’ai jamais su que
les guitares pouvaient ouvrir des portes comme les saxophones
esprit levé d’une prison d’étiquettes faux murs qui nous séparent définissant les choses
qui n’a pas besoin de définition est juste
les cordes hurlantes s’harmonisent dans les hautes fréquences baignent nos oreilles dans un champ de sons légers de nouvelles connexions
J’ai cherché à Seattle
pour l’oreiller
qui tenait la tête de Jimi
attraper des rêves,
cueillir l’amour du nid
des cœurs brisés
les pleurs empruntés
des hommes de blues
chanter dans des bouteilles vides
de parfum
avec leurs poils de corbeaux transformés
la prière et l’électricité dans une pièce impressionnante de boue et l’esprit façonné en un homme
noir gitan suant du cachemire sous les étoiles dansant des arcs-en-ciel dans la nuit


Traduction internet à titre indicatif, si quelqu’un veut nous refaire ça bien on est preneur, pas facile de traduire de la poésie !

Gros bisous,
Frédéric, Matthias & Sylvain.

« leaping dolphins off a rainbow bridge (…) »
ENORME merci aux Tipeuses/eurs de cette semaine :
Marionette & ses moutons, Anouck & Nicolas, Odile & Christian, Gilles & Dominique, Claude & Cédric, Didier, Kali, Céline & José.

04 juin 2021

Cher journal, j’aime voyager seule. Dans la solitude de mes errances, mes amies ne sont jamais loin, elles m’accompagnent dans un dialogue intérieur sans fin. Quand je traverse le désert, je pense à T., qui ne craint ni le soleil, ni sa chaleur. Gravissant un sommet, c’est à toi O. que je songe, aux ressources que tu déploies pour garder le moral, jusqu’à la crête. Si je bivouaque sur la neige ou sous la glace, I. me soutient et me réchauffe de sa malice et de son rire contagieux. Quand je me perds, dans la foule, dans la ville, sur des chemins désastreux, dans mon bulbe rachitique ou loin du cœur empathique d’une humanité délicate, c’est à vous toutes, complices, que je me cramponne, dans une prodigieuse orgie chimérique où s’entrelacent votre sève et mon essence. Finalement, je ne suis jamais seule, sauf peut-être quand je danse…

L’inédit de la semaine : Strates n°4

Est-ce un oiseau ? Est-ce un avion ? Mais non, c’est…

Matthias, tu serais partant pour inaugurer une série de solos pour le blog ? On ferait ça ensemble, mais c’est toi qui ferais tout : la compo, l’arrangement, le jouage, et puis comme ça, nous on te regarde, on t’écoute depuis la terrasse en buvant des coups, et on te dit ce qu’il faut faire quand on a rien à dire (on est fort pour ça !). Et promis, la semaine prochaine on échange, alors, tu dis oui ?
Bah vous en avez de la chance, aujourd’hui au menu, c’est trombone rappé en entrée, puis en plat, mijoté de trombone à la sourdine cuivrée, et enfin, dessert à coulisse et son café huilé-graissé. Une orgie pour les oreilles ! Ça s’appelle Strates n°4, et c’est chef Matthias Mahler qui vous régale. Attention, dansez en mangeant, mais pas n’importe comment…

Au passage, permettez-nous de vous annoncer la sortie de la playlist du mois de mai, avec les participations de Fabe Beaurel Bambi, Florent Hamon & Nicolas Gastard. Et aussi, nous avons l’immense plaisir d’accueillir les premier.e.s Tipeuses/eurs du blog (toutes les infos ici), qu’iels soient ici infiniment remercié.e.s : Marionette & ses moutons, Anouck & Nicolas, Odile & Christian, Gilles & Dominique, Claude & Cédric.

A New York

– II –

Voici le temps des signes et des comptes
New York ! or voici le temps de la manne et de l’hysope.
Il n’est que d’écouter les trombones de Dieu, ton cœur battre au rythme du sang ton sang.
J’ai vu dans Harlem bourdonnant de bruits de couleurs solennelles et d’odeurs flamboyantes
– C’est l’heure du thé chez le livreur-en-produits-pharmaceutiques
J’ai vu se préparer la fête de la Nuit à la fuite du jour.
C’est l’heure pure où dans les rues, Dieu fait germer la vie d’avant mémoire
Tous les éléments amphibies rayonnants comme des soleils.
Harlem Harlem ! voici ce que j’ai vu Harlem Harlem !
Une brise verte de blés sourdre des pavés labourés par les pieds nus de danseurs Dans
Croupes de soie et seins de fers de lance, ballets de nénuphars et de masques fabuleux
Aux pieds des chevaux de police, les mangues de l’amour rouler des maisons basses.
Et j’ai vu le long des trottoirs, des ruisseaux de rhum blanc des ruisseaux de lait noir dans le brouillard bleu des cigares.
J’ai vu le ciel neiger au soir des fleurs de coton et des ailes de séraphins et des panaches de sorciers.
Écoute New York ! ô écoute ta voix mâle de cuivre ta voix vibrante de hautbois, l’angoisse bouchée de tes larmes tomber en gros caillots de sang
Écoute au loin battre ton cœur nocturne, rythme et sang du tam-tam, tam-tam sang et tam-tam.

Léopold Sédar Senghor, Éthiopiques

Gros bisous,
Frédéric, Matthias & Sylvain.

« (…) ton cœur battre au rythme du sang ton sang. »
ENORME merci aux Tipeuses/eurs de cette semaine :
Marionette & ses moutons, Anouck & Nicolas, Odile & Christian, Gilles & Dominique, Claude & Cédric.